Azzedine Alaïa
À même le corps

Écrit par Émilie Hammen, photographies Fonds Viollet-le-Duc, Patrick Demarchelier et Pierre Antoine.

Après plusieurs années de travaux, le palais Galliera, musée de la Mode de la ville de Paris, a rouvert aux visiteurs à la fin du mois de septembre. Pour l’exposition inaugurale, c’est le travail d’Azzedine Alaïa que le directeur Olivier Saillard a choisi de mettre en lumière.

« Peinture », « sculpture », « architecture », ces trois inscriptions gravées ornent l’architrave de la façade arrière du palais Galliera. Achevé en 1894, soit quelques années après la mort de Marie Brignole-Sale, duchesse de Galliera, qui en fit don à la ville de Paris, l’édifice affiche dès sa construction sa vocation muséale. Mais à l’occasion de la première rétrospective parisienne consacrée à Alaïa, ces trois mots se dotent d’une résonance particulière.

« De tous les termes qui qualifient sa profession – créateur, designer, styliste –, Azzedine Alaïa préfère celui de couturier. “Parce que l’on ne s’habille pas d’un dessin” dit-il couramment, il a choisi de situer son métier dans la grande tradition des couturiers architectes du XXe siècle qui maîtrisent toutes les étapes de conception et de réalisation du vêtement, du patronage au montage [1] ».

Formé à l’École des beaux-arts de Tunis, le couturier a véritablement appris son métier à même le corps des femmes, celles qu’il habille depuis son arrivée à Paris à la fin des années 1950, de Louise de Vilmorin à Arletty, de Tina Turner à Naomi Campbell. À la fois peintre, sculpteur et architecte, Alaïa emprunte tout autant à ces trois disciplines qu’à la technicité propre à la couture quand il dessine la courbe d’une hanche, quand il construit dans le biais une robe de mousseline ou échafaude une architecture de maille en trois dimensions, bordée de zip ou d’œillets.

Car si Alaïa se distingue de ses contemporains, c’est avant tout par son approche singulière de la mode. À côté ou peut-être au devant de celle-ci, mais à contretemps, c’est certain aussi. Le couturier choisit par exemple dès 1988 de ne plus se soumettre à la soif de nouveautés imposée par le calendrier des présentations bisannuelles des défilés. Parce qu’il faut parfois savoir ne rien dire, attendre pour aboutir une idée, Alaïa impose avec défiance ses propres règles.

Son vocabulaire de formes, le créateur le puise dans les matières qu’il travaille lui-même sur sa table de coupe. C’est ainsi dans la beauté structurelle d’une étoffe de laine ou dans les particularités techniques d’un jersey que s’esquissent ses silhouettes avec toujours ce seul souci d’être au service du corps de la femme. Imprégné d’une histoire de la mode qu’il collectionne et qu’il contribue à valoriser, le couturier nourrit son travail de cet héritage sans jamais sombrer dans un historicisme de citations. Sa ceinture de cuir perforé appelle un corset dans toute sa modernité, ses jeux de plis convoquent sans les singer ceux de madame Grès.

« Je suis libre de toute décoration » clamait son amie Arletty. Une déclaration qui trouve un écho dans son travail autour de l’épure plus que de l’austérité, une absence de broderie et d’ornement qui rappelle la fonction première du vêtement : nous vêtir. Difficilement datables, affranchies des caractéristiques trop marquées d’une époque, les créations d’Azzedine Alaïa se nourrissent d’un XXe siècle qu’elles ont contribué à former et s’avancent dans le suivant avec l’élan insolent du chef-d’œuvre.

Une démonstration à découvrir en deux lieux. Tout d’abord dans les salles restaurées du palais Galliera, écrins d’une sombre élégance. Repeintes dans les couleurs carmin et noire d’origines, les salles s’effacent dans la pénombre au profit de l’exposition à l’exception de leurs riches plafonds peints qui, à une hauteur quasi vertigineuse, ne distraient pas le regard. La traversée du jardin du palais mène au musée d’Art moderne voisin où, dans la salle consacrée à La Danse de Matisse et au Mur de peintures de Daniel Buren, se sont invitées quelques silhouettes noires pour une dernière conversation sur l’élégance de la ligne.

Une exposition d’une sobriété éclairante qui découvre le vêtement avec justesse.
Sans vitrines pour une plus grande proximité avec les œuvres, sans films ou photographies qui viendraient distraire le regard, Martin Szekely signe une mise en espace fidèle à ses préceptes et comme un parfait écho à ceux du couturier. Le designer, complice de longue date d’Azzedine Alaïa, souligne :

J’ai pour ambition un résultat économe qui ne soit même pas qualifiable de minimaliste. Un lieu commun.

Un dispositif de peu, composé d’estrades noires à peine surélevées et de mannequins d’une discrétion absolue, à la limite même de l’absence pour mieux donner à voir le vêtement incarné dans l’espace, comme une sculpture textile pour un corps absent.

— 
Exposition présentée jusqu’au 26 janvier 2014 au palais Galliera
10 avenue Pierre-Ier-de-Serbie, 75116 Paris, ainsi qu’au musée d’Art moderne de la ville de Paris (salle Matisse).

[1Extrait du texte introductif, affiché dans la première salle d’exposition.

Texte : Creative Commons, photographies © Fonds Viollet-le-Duc, © Patrick Demarchelier et © Pierre Antoine.

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