Jusqu’en septembre dernier, les performances d’Olivier Saillard, véritables ovnis au milieu du calendrier des défilés Haute couture étaient le privilège d’une poignée de rédactrices de mode averties. Un sésame difficile à obtenir pour une bouffée d’air frais indispensable en période de défilés.
Tout à la fois historien de mode, conservateur, programmateur et commissaire d’exposition, Olivier Saillard s’emploie depuis de nombreuses années à partager avec délicatesse et humour sa vision de la mode. Son arrivée à la direction du Palais Galliera a propulsé l’homme jusqu’alors tapi dans l’ombre des réserves de musées et de leurs bibliothèques sur le devant de la scène parisienne. Depuis deux ans, le Festival d’Automne à Paris a pris le pari d’intégrer les performances de l’historien à sa programmation et de les rendre (enfin) visibles et accessibles par tous.
Changement de calendrier et de public, certes, mais pour une exigence et une qualité toujours aussi remarquables. En octobre 2012 il relevait haut la main le défi du « grand public » en présentant avec Tilda Swinton The Impossible Wardrobe, présentation de pièces historiques directement sorties des réserves du Musée Galliera au format d’un défilé de mode au Palais de Tokyo. Cette saison, c’est encore accompagné de l’actrice qu’il composait Eternity Dress fin novembre aux Beaux-arts de Paris.
Olivier Saillard aime à se fixer des objectifs périlleux et audacieux. Pour ce second volet, rendez-vous était donné dans un amphithéâtre de l’école des Beaux-arts pour une véritable démonstration de couture. Car si la mode est depuis toujours considérée comme sujet frivole elle est pourtant le fruit d’une science exacte et ne supporte aucune erreur. De la prise des mesures à la création du patron, du choix des tissus au travail de la coupe, Olivier Saillard dévoile à travers un condensé de couture l’ensemble des étapes, des outils, du vocabulaire et des gestes nécessaires à la création d’une robe.
Simplement habillé de la création sonore du studio MODE-F, le plateau n’accueille que le minimum requis : piédestal, toile à patron, mannequin Stockman, nécessaire de couture et rouleaux de tissus. Aucun décor, mise en scène ou objet superflu ne vient parasiter l’expérience. Olivier Saillard endosse honorablement le rôle du couturier tandis que Tilda Swinton – sublime créature, sans genre, âge ni époque - compose tour à tour le modèle, la cliente, le mannequin et la muse. La simplicité du dispositif et le dépouillement de la proposition permettent la mise en exergue d’une gestuelle, précise, rigoureuse, méthodique et systématique. Une chorégraphie se compose lentement, véritable ballet de gestes et de mots. On ne peut alors s’empêcher de rapprocher la proposition d’Olivier Saillard des travaux de Noé Soulier ou de l’Encyclopédie de la parole également programmés par le Festival d’Automne à Paris quelques semaines auparavant.
Didactique et singulière, la performance propose de nombreux niveaux de lecture permettant à chacun de trouver son entrée dans l’œuvre, en suivant le fil qui lui convient. À l’encontre de la course effrénée imposée par le système actuel de la mode elle nous donne à partager et apprécier le temps de la création à sa juste valeur.
Eternity dress, Olivier Saillard / Tilda Swinton, Beaux-arts de Paris, du 20 au 24 novembre 2013, dans le cadre du Festival d’Automne à Paris.