Entretien avec l’Atelier Trans 305 réalisé par Camille Bosqué en septembre 2011 à Paris.
Trans 305 est un projet mené à Ivry sur Seine par l’artiste Stefan Shankland depuis 2007 au cœur du chantier de la ZAC (Zone d’Aménagement Concertée) du plateau, sur une zone de 35 000 mètres carrés entre le 5 de l’avenue de Verdun et la rue Buessard. Ce projet est la mise en œuvre de la démarche HQAC (Haute Qualité Artistique et Culturelle) initiée par l’artiste, et soutenue par les aménageurs de la ZAC. L’objectif ? Transformer le temps et l’espace de l’actuel chantier de l’annexe du Ministère des finances en un lieu de production artistique et culturelle. Il s’agit d’un endroit qui accueille des résidences d’artistes et différents ateliers pédagogiques ou expérimentaux.
L’Atelier Trans 305 en est la partie visible. Structure multicolore construite en 2010 en collaboration avec le collectif d’architectes Raumlabor-Berlin, elle est à la fois un belvédère sur le chantier, mais aussi une plateforme expérimentale. Focus sur un projet un peu ovni, où urbanisme, art et culture travaillent ensemble.
Il y a deux ans, Florian Bosc Malavergne travaillait à Berlin pour Raumlabor, un groupe d’architectes que Stefan Shankland a associé au projet. À ce titre, il a assisté au début la conception de l’actuel Atelier Trans 305. En octobre 2011 aura lieu la seconde phase du projet : le déplacement de la première structure de l’Atelier et sa reconfiguration.
Camille Bosqué : Comment résumer toutes les facettes de l’Atelier Trans 305 ?
Florian Bosc Malavergne : L’Atelier répond au principe contenu dans la démarche HQAC selon lequel le chantier ne doit plus seulement être perçu comme un moment de nuisance et d’incompréhension, ni comme un lieu inaccessible, mais comme un temps et un lieu où l’on peut produire et avec lequel produire. C’est donc à la fois un atelier de pratique (puisqu’il y a de l’espace et du matériel pour créer), c’est aussi un belvédère qui profite de sa situation au cœur du chantier, et c’est enfin une sculpture, un repère dans le paysage en transformation.
C.B. : Comment la démarche HQAC (Haute Qualité Artistique et Culturelle) est-elle devenue un véritable label pour ce processus ?
F.B.M. : Stefan Shankland propose un travail sur plusieurs années, inscrit dans la durée d’un immense chantier de reconversion urbaine, transformant le lieu et le temps du chantier même en vecteur de production artistique et culturelle. La démarche HQAC rappelle les initiales HQE (Haute Qualité Environnementale) qui certifient – pour ceux qui veulent le croire – les qualités écologiques des bâtiments ainsi labelisés. On peut y voir une forme d’ironie, même si ce n’est peut être pas le but recherché… ce sigle peut être pris comme un cheval de Troie, une manière d’instituer une démarche plus particulière dans des secteurs davantage soucieux d’efficacité et de rentabilité plutôt que de culture ou d’art. En fait, il utilise le langage des planificateurs pour mieux les infiltrer !
C.B. : Il existe en France un cadre légal qui prévoit 1% Artistique sur les chantiers publics. Quel est le rapport de la démarche HQAC avec ce principe et comment cela s’incarne-t-il à Ivry ?
F.B.M. : Même si dans le cadre de ce projet les deux démarches semblent liées, il faut bien les distinguer. La loi du 1% Artistique est une règle imposée au niveau national. Elle impose que toutes les constructions issues de marchés publics intègrent une œuvre d’art in-situ à hauteur de 1% du coût de la construction. La démarche HQAC quant à elle est une démarche originale de Stefan Shankland. Dans les années 1970, la ville d’Ivry sur Seine s’est dotée d’une bourse pour l’Art monumental, qui avait pour objectif de récompenser un artiste en intégrant dans l’espace public une œuvre conçue pour l’occasion. Stefan Shankland a remporté la bourse en 2007 avec quelque chose qui était presque un anti-projet, au sens où cette intervention est moins une œuvre monumentale durable qu’une œuvre éphémère dont le véritable enjeu est le processus.
CB : Pourquoi Trans 305 s’est-il implanté sur la ZAC du plateau ?
F.B.M. : Le choix du terrain d’application pour la démarche HQAC s’est rapidement porté vers le chantier de la ZAC du plateau, un territoire qui allait subir d’importantes mutations urbaines mais aussi une ZAC comme une autre avec son lot de décisions verticales peu soucieuses du contexte. C’est dans le cadre légal de cette ZAC que le projet de Stefan peut bénéficier des financements propre aux 1% Artistique, justement.
C.B. : De « créer pour » à « inventer avec », une des particularités de ce projet est qu’il a été dessiné et pensé avec de nombreux intervenants. Les architectes de Raumlabor ne sont pas les seuls designers du projet, et la liste est longue. Qui a participé et comment la collaboration s’est-elle organisée ?
F.B.M. : Certaines personnes interviennent dans la durée, et participent au déroulement du projet : c’est le cas de Nancy Roquet notamment (architecte elle aussi) qui travaille en ce moment sur les différents évènements qu’accueille le projet. Il y a aussi différents groupes scolaires : des enfants des écoles primaires du quartier, des étudiants en art et en architecture... Leurs travaux sont essentiels. Ils nous renvoient leurs impressions sur ce qu’ils perçoivent du projet, participent parfois concrètement en construisant du mobilier par exemple, et surtout anticipent les étapes de conception du projet. Ce fut le cas avant que la structure de l’Atelier ne soit déterminée. Plusieurs de ces groupes ont fait des propositions d’aménagement ou de programmation. Je me souviens que lors de la phase d’étude avec Raumlabor et Stefan, nous avions à portée de main les photos des maquettes et les dessins des enfants. Je suis sûr que leur style à la fois brut et naïf est pour quelque chose dans l’aspect primaire de l’Atelier actuel ! Nos différents contacts à la Marie d’Ivry sont également essentiels. Nous discutons et validons les étapes du projet, notamment en ce qui concerne son implantation dans le chantier avec l’AFTRP (organisme à qui est confiée la gestion de la ZAC), sans oublier nos relations avec la maîtrise d’ouvrage. Sans les équipes présentes sur le chantier, l’Atelier n’aurait pu voir le jour. Ce sont eux qui ont coulé la dalle qui supporte le bâtiment, et qui ont mis plusieurs fois leurs moyens matériels à notre disposition.
C.B. : Le projet Trans 305 part d’une double volonté : s’insérer sur un chantier pour montrer son développement, et faire pousser de l’artistique là où ne l’attend pas...
F.B.M. : Oui, une des questions posées par ce projet est de savoir si une pratique artistique peut s’effectuer en dehors des circuits conventionnels du marché de l’art, galeries et musées. C’est pourquoi le terrain semble inattendu. De mon point de vue, et au fil des retours que nous avons, la qualité du projet artistique semble ici tout à fait liée à sa capacité sociale, c’est-à-dire à sa capacité à mettre en relation différents usagers autour de questions et de productions partagées dans le cadre d’un même lieu, au sens large de la notion de lieu.
C.B. : De quelle manière est-ce valorisant pour les artistes de s’intégrer dans une démarche de ce type ? N’est-ce pas plutôt une plus-value pour ce grand chantier d’y intégrer un petit peu d’art à dose homéopathique ?
F.B.M. : L’Atelier Trans305 n’est pas une institution, il ne dispose pas de moyens médiatiques très étendus, ce n’est donc pas un lieu où s’exposer comme une galerie. L’Atelier est un prétexte à la création, une situation mise à disposition, ce qui est finalement assez rare. Même si des projets artistiques ont déjà vu le jour dans des chantiers, peu invitent autant à la participation. Et la maîtrise d’ouvrage responsable du chantier est contractuellement impliquée dans le soutien du projet… donc la question de son adhésion ne se pose pas a priori. Dans la réalité, nous sommes en discussion permanente avec ses représentants pour négocier leur aide logistique notamment. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, les constructeurs du chantier ne sont pas toujours très friands de la publicité que peut leur apporter Trans 305 ! Le chantier du Ministère des Finances, c’est de l’argent public, et les entreprises préfèrent se montrer discrètes sur leur activité et jouer la carte de la sobriété.
C.B. : Pourtant, l’Atelier est en lui-même loin d’être sobre ! Parlons un peu de la construction de cet observatoire, d’où viennent les conteneurs, les tôles peintes ?
F.B.M. : Lorsque Stefan Shankland est venu travailler avec Raumlabor à Berlin, les ingrédients de l’Atelier étaient déjà bien définis. Le principe fondamental est d’utiliser majoritairement des éléments empruntés aux flux commerciaux afin que le bâtiment, au terme de sa vie éphémère, puisse retourner aux circuits conventionnels d’échange et que son impact matériel soit nettement réduit. Il est donc composé de racks à palettes, de conteneurs maritimes, et d’un échafaudage. Tous ces éléments sont temporaires, mais composent l’Atelier. C’est aussi une manière de ne pas faire architecture, d’éviter de s’apparenter aux architectures de conteneurs qui sont en vogue en ce moment.
D’ailleurs lors de la phase de conception les architectes étaient plutôt sceptiques sur l’usage des conteneurs, qu’ils trouvaient trop attendu. Nous avons dû en discuter plusieurs fois pour comprendre que Stefan Shankland les recherchait pour leur neutralité et leur simplicité d’usage (montage, transport) et non pour leur esthétique.
L’Atelier actuel anticipe le prochain, il est prévu pour être entièrement démontable, comme un méccano géant, ce qui justifie l’emploi de certains matériaux et systèmes préfabriqués.
C.B. : Ce qui rend l’Atelier si repérable, ce sont surtout les palissades colorées !
F.B.M. : Les panneaux métalliques colorés qui constituent la façade proviennent d’un projet antérieur, le projet MUR-RAL. Stefan Shankland a sélectionné pour les clôtures du chantier un ensemble d’affiches multicolores, sans imposer d’ordre à leur agencement. Ce bardage plutôt surprenant est dès lors devenu la marque visuelle du projet. Lors de la conception de l’Atelier nous nous sommes servis de la métaphore du château fort d’enfant, et alors que nous avions repoussé les tôles colorées en amont, faute de leur trouver un usage justifié, la métaphore nous a permis de les réintégrer comme parement, comme l’enceinte de notre château, comme signe distinctif vis-à-vis de l’environnement.
C.B. : Une fois l’Atelier Trans 305 mis en place, quel peuvent être les rôles des artistes en résidence dans le chantier et dans la ville ?
F.B.M. : Il n’y a pas une seule réponse à cette question, c’est tout l’enjeu de ce projet !
Des artistes venus en résidence ont trouvé des intérêts différents à pratiquer au milieu du chantier. Le plasticien Erik Goengrich, a travaillé sur la notion « d’atelier idéal », et produit les éléments d’un manifeste pour atelier-sculpture intégré au réel. Antoine Bellanger, musicien qui était récemment en résidence à Trans 305, s’est approprié les sons du chantier par divers enregistrements, invitant d’autres musiciens à enregistrer leurs propres compositions en les mixant sur fond des bruits du chantier. Un « concert » aura d’ailleurs lieu fin septembre début octobre lors du démontage de la structure, et l’Atelier devrait normalement se transformer en instrument géant…
C.B. : Comment ce projet a-t-il été reçu par la population locale ? Les gens sont-ils vraiment curieux de ce chantier ?
F.B.M. : Certains posent des questions, d’autres se faufilent. Il y a des habitants du quartier curieux ou sceptiques. Nous nous apercevons aussi parfois que notre présence peut être mal comprise. Par exemple un habitant venu récemment nous voir se demandait pourquoi la « Haute Qualité Artistique » n’avait pas d’influence sur le projet du bâtiment du Ministère des Finances, s’inquiétant de l’aspect insipide de ses façades. Il y a autant de réactions que de visiteurs.
Mais pour répondre à votre question, l’Atelier n’est pas un lieu d’information officiel, ce n’est vraiment pas un baraquement d’accueil comme on en voit beaucoup désormais. Il n’a pas vocation à promouvoir le projet de la ZAC, même si inévitablement il y est associé et confère une « bonne image » au projet urbain.
C.B. : Trans 305 s’assume comme un prototype où urbanisme et culture travaillent ensemble. À votre connaissance, cette démarche a-t-elle été reprise pour d’autres chantiers, d’autres projets ?
F.B.M. : Les architectes d’AAA (Atelier d’Architecture Autogéré) travaillent en Europe sur des projets similaires, à Paris avec le projet Eco-box notamment. De nombreuses initiatives existent. Mais depuis que Trans 305 a été mis en place, il est soutenu par les élus qui sont très enclins à faire de la publicité pour la démarche auprès d’autres municipalités. Une délégation du Grand Lyon a d’ailleurs visité le projet cette année et Stefan Shankland exporte actuellement la démarche HQAC dans d’autres cadres, à Nice et à Marseille par exemple. L’expérience a donc bien vocation à se transposer en dehors du périmètre de la ZAC du plateau.
C.B. : Que va-t-il se passer lors du démontage de cette structure à la fin du chantier, prévu en 2013-2014 ?
F.B.M. : La deuxième étape commence dès le mois d’octobre 2011, avec le démontage de l’Atelier n°1 son déplacement au 14 Passage Hoche, une adresse qui est à l’interface avec le nouveau site de chantier investi par la ZAC et une rue habitée. C’est une situation nouvelle dans laquelle l’Atelier profitera d’un rapport de proximité immédiate avec les habitants du quartier. L’Atelier n°2 intègre un nouveau module, une vitrine ouverte sur la rue et un dispositif d’exposition qui permettra d’accroître la visibilité des actions menées dans le cadre du projet.
On parle également d’une troisième étape, pour laquelle l’Atelier devrait déménager à nouveau et investir le chantier d’un collège, toujours dans le cadre de la ZAC. Mais cette étape est encore difficile à imaginer car suspendue à l’avancement de la politique urbaine et des opérations immobilières en gestation.
C.B. : Est-ce qu’il restera des traces de chaque étape sur le site ?{{}}
F.B.M. : L’empreinte laissée par l’Atelier n°1 sur place est l’objet d’un projet mené en collaboration avec les architectes nantais Raum. Le projet intitulé « Marbre d’ici » (qui a remporté le prix COAL 2011), prévoit le recyclage de la dalle béton de l’atelier ainsi que des matériaux de démolition collectés dans la structure en un matériau hybride capable d’être utilisé par la suite dans les aménagements urbains de la ZAC. À travers cette transformation, le projet Trans 305 compte s’intégrer de manière durable dans l’espace public.
C.B. : Quelle est l’actualité de Trans 305 et comment savoir ce qui s’y passe ?
F.B.M. : L’Atelier Trans 305 est sur Facebook ! Cet été, l’Atelier accueillait des cours de danse contemporaine, et le dimanche nous avons organisé des projections de films en plein air.
Début septembre 2011, l’Atelier avait en résidence un groupe de graphistes. Ce groupe de six jeunes femmes a passé une semaine à expérimenter sur place aussi bien par la photographie, les installations, et l’écriture.
Vendredi 30 septembre, à partir de 17h, il y aura une présentation de l’ouvrage d’Erik Göngrich ainsi qu’une projection des films de Raphaël Grisey et Elke Marhöfer. Ce sera l’occasion de débattre des problématiques de la ville en transformation avec les artistes... autour d’un verre !
Lors du démontage en octobre prochain, plusieurs évènements sont prévus, dont le concert « Effet Cocktail Party » d’Antoine Bellanger. Dans le nouveau bâtiment, des workshops de construction auront rapidement lieu cet hiver.
L’Atelier Trans 305 est ouvert le mercredi et le vendredi de 14h à 18h.
Pour y aller :
- Métro ligne 7 Porte de Choisy ou Pierre et Marie Curie (puis 5 mn à pied)
- T3 Porte de Choisy (puis 5 mn à pied)
- Bus 183 (départ Porte de Choisy), arrêt Châteaudun
- Station Vélib à proximité