YA+K, workshoppers

Écrit par Étienne Delprat et Pascal Osten du Collectif Ya+K, images © Ya+K.

Le Collectif YA+K mène depuis quelques années une réflexion sur les modalités de création collaborative intégrées à des dynamiques de transformations urbaines et de production d’espace public. Dans cette recherche, qui porte autant sur le sens des expérimentations (esthétiques, sociales, politiques) que sur leurs protocoles de production, le workshop est à la fois une méthode et un objet de réflexion. Nous livrons ici quelques réflexions sur l’espace-temps du workshop comme expression du commun.

Qu’est-ce qu’un workshop ?
Le mot anglais - qu’on peut traduire en français par atelier - désigne à la base un lieu de travail. Au-delà de ce sens initial, c’est un terme aujourd’hui très employé tel quel dans de nombreux milieux pour désigner un moment de travail collectif ; on prendra donc comme point de départ cet usage actuel du mot : un « espace-temps » de travail réunissant un groupe d’individus autour d’un projet, d’une action ou d’une activité.

Pourquoi le workshop ?
Un groupe constitue un mouvement permanent qui a besoin d’être stimulé et éprouvé. Le format du workshop nous permet de poser les conditions d’une production dynamique, mais aussi d’interroger les formes et les organisations sociales. En effet, explorer d’autres structures de groupes et d’autres géométries de travail fait émerger des modalités de construction d’un commun en actes ; une manière singulière de faire société : performative, active et toujours en mouvement.

Le workshop est une forme de pédagogie active qui vise à replacer le faire – faire projet, manuellement et/ou conceptuellement – au centre. L’élève, le spectateur, l’habitant est stimulé par le projet et y injecte ses propres savoirs, idées… Mais, en même temps, il se soumet au regard critique des autres participants, quelle que soit leur place, et de ce fait se pose comme propre critique de ses savoirs et certitudes. Par ailleurs, il est amené à apprendre de l’autre, à s’adapter à ses interlocuteurs, aux logiques de groupe qui se mettent en place.

Quelle place pour chacun dans le workshop ?
Un workshop vise à réunir un ensemble de conditions et d’individus autour d’un projet (artistique ou autre), qui invite chacun à se repositionner et à reconsidérer son statut, ses savoirs et ses compétences. C’est la définition du projet commun qui active le workshop. Les individus qui y participent trouvent ensemble l’objet de travail collectif. Un projet fédère autant qu’il peut opposer, il est ce qui va imposer la configuration d’un fonctionnement, et, par extension, le mode d’organisation du travail collectif. En effet, mener un projet commun accorde et réunit, mais c’est aussi ce qui confronte chacun à lui-même, l’oblige à s’impliquer et se positionner. Pour nous, s’exprimer au sein du collectif de travail ne doit pas se faire depuis une place assignée (un statut, social ou professionnel), mais plutôt depuis une forme de prise de position personnelle par rapport à l’objet.

Et l’individu dans le collectif ?
Introduire la notion de collectif d’architecture, plutôt que de parler de collectif d’architectes, c’est détourner la notion d’un groupe d’individus stabilisé et l’étendre à l’ensemble des entités, humaines et non humaines, matérielles et intellectuelles, qui composent à un instant donné une forme d’architecture. Parler d’architecture et non d’œuvre permet d’éviter la question de la légitimité à intervenir et à modifier l’espace du commun. L’importance ne réside pas dans l’acte architectural, mais dans ce qu’il produit, dans les dynamiques qu’il instaure, les relations qu’il tisse, pendant sa conception, tout au long de sa mise en œuvre et jusqu’à son activation. Dans ce sens, le collectif travaille des intensités, des espaces-temps, il est autant produit que producteur de la situation de travail.

Ce qui importe, c’est notre capacité de créer de nouveaux agencements au sein du système d’équipements collectifs que forment les idéologies et les catégories de la pensée, création qui présente de nombreuses similitudes avec l’activité artistique. [1]

Le collectif, c’est donc nous (le collectif YA+K), qui menons ces expérimentations ensemble depuis plusieurs années, mais c’est aussi l’ensemble des gens que nos projets mobilisent, sur des temps variés, et plus spécialement sur les temps de workshops où les différences s’estompent. Vu sous cet angle, le workshop est aussi fondamentalement un moment d’accueil, où la base du collectif « s’augmente » d’un certain nombre d’invités, qu’ils soient constructeurs, étudiants, visiteurs, enfants participant à des ateliers, personnalités participant aux débats, etc. Cette mise en partage (de notre projet, de nos méthodes, de nos espaces) est intrinsèque au collectif, étant à la fois phase de test, de concrétisation et de transformation du projet.

Dans quel(s) cadre(s) prennent place ces projets ?
Nous menons depuis deux ans à Ivry-sur-Seine une recherche-action commune avec l’artiste Stefan Shankland, initiateur de la démarche H.Q.A.C. (Haute Qualité Artistique et Culturelle), autour de la question des territoires en transformation. L’atelier TRANS 305 est l’incarnation de cette recherche en un lieu, à la fois observatoire et laboratoire au sein de la ZAC du Plateau, prenant comme cadre d’action, objet d’étude et matière de travail le chantier et ses processus. Le chantier constitue une situation singulière, à la fois exceptionnelle et habituelle. Sa singularité en fait un espace de réflexion et d’expérimentation qui permet d’éprouver nos manières de faire projet et de croiser les acteurs de l’espace urbain.

Visite du workshop Ya+K

Si l’habitant n’est pas légitime à concevoir la ville, l’urbaniste non plus. Chacun est porteur d’une forme d’expertise qui dialogue et entre en friction avec celle des autres. Quand vient le temps du chantier, les dés sont, certes, déjà jetés en termes de projet, mais tout reste à construire en termes de culture. Cet espace commun et partagé qu’est le chantier urbain suit des protocoles de conception paradoxaux. D’un côté les habitants ne vivent pas cette transformation au quotidien si ce n’est comme une nuisance, et d’un autre côté les promoteurs, les constructeurs, et tous les acteurs de l’aménagement urbain sont eux, dans leur travail, en lien permanent avec cette ville en devenir. Le chantier appartient au présent, au passé et au futur, et constitue une forme d’entre-temps et d’entre-lieux que le projet doit investir. Il s’agit de faire de cette situation un temps d’interaction et de réflexion partagée sur les manières de produire ce qui constitue déjà un espace commun.

Workshop, chantier, même combat ?
Articulant approche critique et expérience pratique de la matière, des techniques et des process, l’action devient aussi recherche. L’expérimentation est au centre de cette démarche, dans ses dimensions techniques, pédagogiques et théoriques. L’action du collectif YA+K dans le cadre de TRANS 305 a durant deux ans pris la forme de nombreux workshops, événements, ateliers, etc. Les « Plateaux d’été », 1 et 2, ayant lieu respectivement durant l’été 2012 et l’été 2013, ont notamment constitué des étapes clés dans ce processus : temps de visibilité et d’action, ils ont été des moments d’exposition (critique) de la recherche.

L’édition 2012, intitulée Version réduite, faisait du workshop l’événement même. Habitants, étudiants ou spécialistes ont construit ensemble une maquette au 1/25e du quartier existant et de celui en devenir. La maquette agit comme matrice et sa construction comme un temps d’échange partagé, donnant ainsi corps à un territoire (physique et culturel) latent.

EXTRACT, l’édition 2013, a pris la forme d’un parcours autour et au travers du chantier, rendant ainsi visible les processus de mutation que connaît la ville. L’idée était de déplacer le modèle de l’exposition et ainsi d’inciter les gens, qu’ils soient artistes, scénographes, architectes, visiteurs ou ouvriers à revoir leur conception de la forme, produite et exposée. Le chantier devient à la fois cadre d’accueil de l’exposition (constituée d’images ou d’objets produits en amont) et objet de celle-ci, lui-même exposé. Cela crée une situation paradoxale où chacun doit rentrer dans la discussion pour donner corps à ce projet commun : les promoteurs et les entreprises acceptant sa mise en place, les ouvriers reconsidérant leur lieu de travail, le visiteur saisissant les raisons de l’interdit.

EXTRACT a réuni, au cours de deux mois de workshop sur le réemploi et le détournement des ressources du chantier, des habitants, des artistes, des entreprises ou encore des étudiants. En amont, plusieurs workshops ont été organisés pour co-construire le concept même de l’événement, qui se devait d’intégrer les réalités du chantier (son paysage, son calendrier…) avec les intentions artistiques et le contexte humain. D’autres moments ont ensuite porté sur la construction du parcours, de ses étapes et de ses installations. La matrice « exposition » est devenu le moteur de ces temps de construction partagée. La forme singulière de l’exposition impliquait une redéfinition commune des modèles connus par chacun : des objets aussi simples que des panneaux, des assises ou des terrasses ont alors été à imaginer et adapter en fonction de cet espace-temps exceptionnel qu’est le chantier. La construction progressive de ce projet multiforme s’est faite par étapes, différenciées et étalées dans le temps : un groupe s’emparant de l’esquisse d’un autre, en fonction des matériaux disponibles, faisait alors évoluer la forme. Dans ce cadre, la signature se perd, le collectif, non identifié, devient producteur d’une situation ouverte dont chacun s’empare à sa manière.
L’état d’esprit et l’ambiance des temps de workshops, rencontres ou visites de chantier, est donc à chaque fois différent.

Extract - Le film from Adrien Benoliel on Vimeo.

Le workshop comme modèle d’une autre pratique urbaine ?
La dimension collective, processuelle et expérimentale du workshop en fait une forme de travail et d’action pertinente dont la volonté est de produire d’autres modes de vivre-ensemble. Le projet, ferment du workshop, peut toucher à des situations locales de gestion, à des modalités d’appropriation de problématiques spécifiques, ou encore à des problématiques macro-politiques visant à être réarticulées.

Une société où certains pensent pour les autres, où l’expert est seul légitime à analyser, le politique à valider, les agents économiques et sociaux à appliquer, et le citoyen à vivre passivement, est un modèle que le workshop incite à critiquer. Un modèle de société n’est jamais acquis, c’est dans le partage des mots et des actes qu’il se construit. C’est collectivement qu’il s’éprouve et se redéfinit. Agir est la seule manière de faire commun.

[1Bourriaud, 2009

Texte : Creative Commons, images © Ya+K.

tweet partager sur Facebook


Vous aimerez aussi :