Guillaume Greff : Jeoffrécourt, une ruine moderne

Début 1900, Jeoffrécourt était le nom d’un ensemble de fermes de l’Aisne. Aujourd’hui, le camp militaire de Sissonne et l’armée de terre ont établi sur ce lieu-dit le Centre d’entraînement au combat en zone urbaine. De Jeoffrécourt, ils ont gardé le nom ; le dispositif représente une ville de 5000 habitants, support et décor des simulations militaires. Le photographe Guillaume Greff a obtenu l’autorisation d’aller y réaliser quelques clichés. Il présente au Théâtre du Maillon à Strasbourg la série Dead Cities : un imagier plastique de la mise en scène militaire.

L’exposition regroupe sous le nom de Verna différents travaux sur la typologie des paysages. Dead Cities constitue la série centrale, accompagnée d’une recherche iconographique intitulée Hyssop, sur les formes à dimensions sculpturales inventées par les guerres au cours des siècles. Le traitement graphique des images dissimule les réels usages de ces volumes mais laisse apparaître la richesse d’un répertoire formel austère et brutal. D’origine lorraine, Guillaume Greff affirme sa fascination pour les marquages humains dans la nature : paysages de vie comme de mort. Les vestiges de la Seconde Guerre mondiale autant que ceux l’époque minière ont influencé son goût pour les lieux désertés – ou ceux qui semblent l’être.

Jeoffrécourt n’a en réalité rien d’une ville abandonnée, car si elle n’a pas d’habitant, elle ne manque pas d’activités.

Toutes les semaines de l’année sont occupées par des troupes armées en training, par des centaines de militaires jouant le rôle d’opposants ou de civils pour plus de réalisme.

Pourquoi l’artiste a-t-il délibérément choisi d’abstraire l’homme de ses images ?

Jean-Christophe Bailly, auteur de l’essai qui accompagne l’exposition, propose ce point de vue : « Le décor est planté et si de l’action qui va s’y jouer les photos ne disent rien, c’est parce que le photographe est resté sur le seuil – mais c’est là justement qu’il fallait se tenir, sans dire mot, dans la stupeur d’une effraction. »

Guillaume Greff a choisi le vide d’une rare latence entre deux semaines de combats pour élaborer la typologie formelle et symbolique de la « ville outil », commune à toutes ces villes qui représentent la ville sans se préoccuper de la vie. L’intrigante tension de ces images naît des similarités avec les actuelles planifications immobilières de nos cités. Préférant le parti de l’esthétisation à celui de la documentation, Guillaume Greff joue justement de la beauté de l’artifice en magnifiant les volumes hybrides de ces architectures. « Jeoffrécourt, une ruine moderne » énoncerait la carte postale de l’armée ainsi illustrée.

Les dimensions critiques ou cyniques du fait militaire volontairement mises de côté, l’engagement de l’auteur nous échappe alors. Si ces images constituent un reflet de notre société civile, quelle prise de conscience nous permettent-elles ?

Dans l’univers de Dead Cities, Guillaume Greff nous laisse, en spectateurs désemparés, nous aussi sur le seuil.

Exposition Verna de Guillaume Greff, au Maillon
Wacken, Parc des Expositions,
7 Place Adrien Zeller, Strasbourg
jusqu’au 31 mars 2013.

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POUR ALLER PLUS LOIN :

Fort Irving, National Training Center : Jeoffrécourt en version américaine !

• Relire notre saison : Design, nerf de la guerre

texte : creative commons - images : © Guillaume Greff, Dead Cities, 2011

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