Rares sont les ouvrages qui esquissent un panorama synthétique des multiples avant-gardes artistiques et courants de pensée radicaux qui agitèrent l’Italie au début des années 1970. Derrière ses faux-semblants de magazine (couverture souple, papier glacé, format manga, mise en page branchée signée Experimental Jetset), The Italian Avant-Garde : 1968-1976 relève le défi avec beaucoup de sérieux et de rigueur.
Premier volume de la collection EP des éditions Sternberg Press (EP pour Extended Play), l’ouvrage crée un lien organique non seulement entre art, architecture, design, graphisme et politique mais également entre histoire en train de s’effacer et actualité en cours d’écriture. Il redonne ainsi la parole aux activistes de l’époque (1968-1976) et la confronte à celle d’acteurs contemporains.
Memento
« Une des raisons pour lesquelles j’ai accepté de donner cette interview, c’est parce que cela allait m’aider à me souvenir », avoue ainsi Toni Negri dans les dernières pages du livre. L’entretien en question se concentre principalement sur le rôle des revues que le philosophe anima : Quaderni rossi, Classe Operaia, Contropiano. Des revues dont l’ambition n’était pas des moindres : réinventer la sociologie ou bien réécrire le premier volume du Capital de Marx !
Côté politique, celles-ci contribuèrent indéniablement à la remise en question du Parti Communiste italien. Côté culturel, elles accueillirent des plumes de renom, telles celles de Franco Fortini ou encore de Pier Paolo Pasolini.
« Notre mouvement était un mouvement de revues. »
S’il est une autre figure italienne qui incarne cette « révolution par le magazine », c’est bien Alessandro Mendini. Sous sa direction, Casabella, Modo et Domus firent la promotion de que ce Germano Celant baptisa le radical design. Entre 1972 et 1976, par exemple, c’est effectivement Mendini qui, dans les pages de Casabella, diffusa les fameuses Radical Notes : de brefs billets où Andrea Branzi tenta de définir, numéro après numéro, les mutations de la pratique et de la pensée architecturale de son temps. Ceux-ci sont repris en partie dans cet ouvrage et réévalués par leur auteur.
Interrogé par Joseph Grima (rédacteur en chef de Domus entre 2011 et 2013), Mendini se remémore les principales évolutions des lignes éditoriales de ces supports à l’audience internationale. D’une part, l’arrivée des postmodernes :
« Quand j’ai pris contact avec ces architectes, Rossi avait à peine construit, Hadid était une peintre futuriste et une maquettiste, Gehry n’avait construit rien de plus que sa maison personnelle et Jean Nouvel était encore un jeune garçon. »
D’autre part, l’essor d’Internet : « une étonnante puissance de transformation » pour la presse spécialisée.
Jalons
D’importants autres jalons de l’histoire artistico-politique italienne (expositions, publications, manifestations, etc.) sont ainsi remis en lumière. On revit les événements qui, en 1968, empêchèrent successivement le bon déroulement de la Triennale de Milan (Enzo Mari manifeste au côté des étudiants) et celui de la Biennale de Venise :
« La crise institutionnelle qui touchait les deux symboles de la politique culturelle italienne devenait évidente ! »
On revisite ensuite, pièce par pièce, témoignages à l’appui, la fameuse exposition Italy : The New Domestic Landscape qui fut accueillie en 1972 par le MoMA ou encore l’accrochage photographique imaginé par Ettore Sottsass à l’occasion de MANtransFORMS, l’exposition inaugurant en 1976 le nouveau Cooper-Hewitt National Design Museum de New York. On déambule dans la Cité extrudée d’Archizoom.
Puis Carlo Caldini rouvre les portes de Space Electronic, la discothèque multimédia qu’il imagina en 1969 à Florence avec ses amis du Gruppo 9999. En ces murs, Superstudio organisa un festival mondial de design et les étudiants de l’école d’architecture firent classe ! Est également ravivée l’aventure Cavart (1973-1978), un collectif d’architecture radicale fondé par Michele De Lucchi et proche de l’arte povera.
Générations
Longtemps associé à ce mouvement, l’artiste Michelangelo Pistoletto dialogue justement avec l’un de ses anciens étudiants qui n’est autre que le designer Martino Gamper. Rôle du design d’aujourd’hui et enseignement de l’art en général sont au menu de cette rencontre.
Enfin, jouant volontiers à ce jeu de joute intergénérationnel, le studio hollandais Experimental Jetset présente les affiches qu’Ettore Vitale réalisa pour le Partito Socialista Italiano et qui, les graphistes ne peuvent s’en cacher, touchèrent immédiatement « leur corde sensible ».
Ainsi, malgré ses deux cents pages, cette étude nous laisse croire que l’histoire peut prendre la forme d’un joyeux concertino !
Alex Coles, Catharine Rossi (dir.), The Italian Avant-Garde : 1968-1976, Sternberg Press, 2013 (en anglais).