Un ami amateur de plantes vous propose de faire une balade botanique. Vous êtes bien tenté-e de décliner l’invitation : vous savez d’ores et déjà que vous allez avancer à un rythme lent et saccadé, vous allez devoir vous arrêter toutes les deux minutes pour vous pencher sur d’insignifiantes plantules, sans compter l’ouvrage de quelques kilos qu’il vous aura remis et que vous trainerez péniblement pour reconnaître les espèces au fur et à mesure de votre déambulation. Toutefois, vous aimez les défis et l’idée de démontrer à votre ami vos compétences en matière d’herbacées et de ligneuses vous traverse l’esprit…
Vous avez dans la poche LA solution pour folâtrer le pas léger : vous allez photographier en rafale des échantillons végétaux avec vos smartphones et vous allez scanner vos photos avec des applications comme Plantfinder, Leafsnap ou encore Plantnet. Eh oui, les rencontres botaniques ont elles aussi leurs appli ! Celles-ci vous offrent des services de reconnaissance éclair. Vous examinerez plusieurs spécimens et vous pourrez valider ou rejeter les propositions de telle ou telle appli.
Les chances de matcher sont de plus en plus importantes depuis que les algorithmes de reconnaissance ont été boostés par les usagers, de plus en plus nombreux, qui enregistrent leurs "dates" végétales sur leur portable.
Quelle aubaine ! Vous partez donc à la rencontre des plantes... mais hélas, dans la forêt aveyronnaise où vous pensiez pouvoir dénicher des espèces si rares et inhabituelles pour le citadin que vous êtes, la 3G ne fonctionne pas ! Impossible d’uploader vos photographies...
Myr Muratet, Végétation des interstices minéralisés. © Myr Muratet.
Bye bye Plantfinder
Une fois de retour chez vous, votre désarroi redouble d’intensité : vous vous rendez compte que les clichés pris sur le terrain n’ont pas capturé des détails saisissants – et peu pudiques – comme le dessous des feuilles, les capsules, les réceptacles, les ligules, les étamines... autant d’éléments fondamentaux pour déterminer, à l’aide d’un bon livre sur la flore, l’espèce que vous avez observée à travers le viseur de votre appareil.
Qu’à cela ne tienne ! Après ces fastidieuses vacances en Aveyron, vous retentez le coup, mais cette fois en ville, au cœur même de votre quartier. Vous avez téléchargé tous les podcasts de Gilles Clément démontrant l’importance des friches urbaines. Hélas, Gilles Clément ne fait pas de reconnaissance végétale pour particuliers dans ses émissions. Vous ressortez donc votre smartphone — et ici, la 4G est au rendez-vous. Mais vous réalisez très vite que Plantfinder ne vous fait matcher qu’avec des espèces très courantes d’appartement. Or, ce n’est pas votre genre. Vous avez besoin d’une nouvelle stratégie pour explorer la nature urbaine.
Justement, une récente publication peut changer le cours de votre chemin d’initiation botanique. Désormais, votre chasse aux espèces citadines sera forcément fructueuse. En glissant dans votre poche Flore des friches urbaines de Marie Pellaton, Audrey et Myr Muratet, vous pourrez jouir à coup sûr des interludes du parcours. Le format de cet ouvrage publié aux éditions Xavier Barral en juin 2017 est plutôt modeste, ni encombrant ni pesant, bref compatible avec votre look streetwear.
Bien mis en page et de belle facture, il mettra tous vos sens en éveil. Un indéniable plaisir tactile est procuré par les types de papier variant au fil des sections (utilisation de la flore, planches de reconnaissance et clés de détermination). Que dire des 600 photographies compilées dans l’ouvrage ? Mêlant portraits végétaux, détails botaniques et paysages délaissés, elles sont tout simplement remarquables, précises et diversifiées.
Espèces et milieux
Ce sont trois experts en écologie, photographie et design graphique (successivement Audrey Muratet, Myr Muratet et Marie Pellaton) qui ont initié, il y a quinze ans déjà, cette aventure éditoriale de longue haleine. Un seul photographe a travaillé sur le projet, recensant les espèces mais aussi leurs milieux, assurant ainsi la cohérence visuelle de l’ouvrage. Ce point est très important car, trop souvent malheureusement, les guides botaniques ont été construits à partir de plusieurs archives photographiques. En outre, ils cadrent habituellement sur les plantes et négligent leur habitat.
Pour faire connaître la flore des friches urbaines, ainsi que le soutient Audrey Muratet, il fallait nécessairement parler d’écologie, évoquer les interactions avec la faune, l’habitat, les polluants, etc., et montrer clairement les paysages et les ambiances dans lesquels l’on retrouve ces peuplements végétaux.
Propos recueillis par l’auteur de cette recension en septembre 2017.
« Vous allez difficilement trouver les espèces de la flore des friches urbaines dans "les espaces verts" proprement gérés et cultivés par la ville ; nous voulions que les dynamiques écologiques de ces espèces soient dévoilées aussi à travers le travail photographique. »
L’observatoire des voyageuses
Maintenant, à vous de faire vos premiers pas en ville avec Flore des friches urbaines sous le coude. La chasse est ouverte. Vous devriez rencontrer une majeure partie des 258 espèces classées dans ce livre, car les auteurs n’ont sélectionné que des espèces facilement observables. Vous n’aurez également aucune difficulté pour les retrouver dans le livre, grâce à un système de clés de détermination bien dessiné.
Et pas de panique non plus, si vous mettez votre balade au programme de la prochaine saison hivernale, quand les feuilles sont flétries et les fleurs un doux rêve de printemps : il y a aussi une section photographique dédiée à ces rudes mois.
Dans des interstices minéralisés, vous découvrirez que les Amaranthes et les Sagines sont couchées, que les Paturins – quand ils ne sont pas faux – sont rigides ou comprimés. Vous vous aventurerez dans des milieux pionniers où vous pourriez être effrayé-e par de douteux Pavots et d’inodores Camomilles, mais ensuite séduit-e par d’embarrassants Lamiers pourpres.
En traversant les gazons, vous hésiterez entre le Brome mou et le Gaillet dressé. Dans les fourrés, vous pourrez faire une pause quasi animalière à l’ombre des Cabarets des oiseaux et des Rosiers des chiens. Près des berges de la rivière où vos grands-parents se baignaient (et où les autorités vous interdisent sans doute de piquer une tête aujourd’hui) vous saurez qu’il faudra éviter de déguster les fruits des Douces-amères.
Myr Muratet, Végétation des milieux pionniers. © Myr Muratet.
Enfin, vous pénètrerez dans les friches proprement dites où un vrai voyage intercontinental vous attend : Passerages de Virginie, Renouées du Japon, Séneçons du Cap, Scolymes d’Espagne, Sysimbre d’Orient, Ballote du Midi, Solidages du Canada et Vergerettes de Sumatra… Toutes ces espèces, échappées de leur pays, se réunissent près de chez vous sous la forme d’un véritable observatoire des voyageuses.
Mais si, aujourd’hui, vous n’avez pas envie de vous promener en ville, savez-vous ce qui est tout aussi bon ? Flâner confortablement depuis votre canapé, en feuilletant les pages de cet ouvrage.
Relié, 13 x 21 cm
464 pages
600 photographies et 800 dessins de 258 plantes
Textes : Audrey Muratet
Photographies : Myr Muratet
Dessins et mise en page : Marie Pellaton