Fanette Mellier : Cosmos, Carabine et Confetti

Propos recueillis le 9 avril 2013, par Sophie Cure et Tony Côme.

Familière des résidences, la graphiste Fanette Mellier rentre tout juste de la Villa Médicis. Après un an de recherche à Rome, elle revient sur cette expérience particulièrement... cosmique !

Strabic : Comment se passe votre retour en France ? Dur retour à la réalité ?

Fanette Mellier : À Rome, j’étais dans une bulle totalement protégée, je pensais qu’il serait compliqué de rentrer. Mais finalement, je suis contente d’être revenue à Paris. J’avais besoin de partir, de faire une coupure assez nette pour ne plus être dans le flux de la commande et pour pouvoir réfléchir à ma pratique. Partir, c’était une manière d’avoir une aisance économique et des conditions idéales pour mener un projet éditorial. Là-bas, le métier de designer ou de graphiste est assez mal connu. C’est d’abord agréable car personne n’a d’a priori. En revanche, au bout d’un certain temps, les échanges avec d’autres praticiens designers me manquaient. La Villa Médicis reste très tournée vers le passé. C’est un aspect qui a pu me nourrir à un moment donné, mais ce n’est pas le premier moteur de mon travail.

Quel était votre projet de candidature ?

J’avais présenté un projet en relation avec la ville et la Villa. La thématique principale était le lien entre objet imprimé et représentation du cosmos. Ça peut paraître assez fantasque mais finalement on trouve de nombreuses correspondances. Le fait de choisir un sujet aussi métaphysique faisait écho à mes interrogations personnelles et professionnelles du moment. Se retrouver dans une position de questionnement fondamental, c’est une bonne manière de faire le point.

Et puis, il y a de multiples conjonctions entre Rome, la Villa et le cosmos : l’étonnante bibliothèque astronomique du Vatican, les découvertes de Galilée à la Villa Médicis et l’Astronomicon, un texte écrit par Marcus Manilius, un astronome et astrologue de la Rome antique, que j’avais envie de rééditer.

Ce texte est un état des lieux, une description très poétique du ciel. Je me suis basée sur sa première édition imprimée, préparée par Joseph Juste Scaliger, un érudit passionné d’astronomie. Cette édition en latin, conservée dans de rares bibliothèques en Europe, a été numérisée et mise à disposition sur Internet. Le texte a été traduit en français par un astronome amateur, Alexandre-Guy Pingré, au XVIIIe siècle. La dernière édition française est parue en 1970, dans une collection de livres occultes des éditions Denoël, la « Bibliotheca Hermetica ».

J’ai donc réalisé un fac-similé de l’édition originale à partir de la version numérisée, que j’ai plongée dans une sorte de nuit éditoriale, un aplat de couleur bleue surimprimé, parsemé de points en réserve : usures de l’original, taches d’encre mais aussi poussières numérisées. Les pages du livre sont orientées telles qu’elles ont été scannées. C’est un fac-similé qui prend en compte toutes les aspérités du livre numérisé. Le lecteur peut décider de déflorer le livre pour découvrir la traduction française imprimée sur l’envers ou le laisser intact, mystérieux et opaque.

Cela vous a-t-il permis de raviver d’anciens projets, notamment ceux consacrés
au cycle lunaire ?

Souvent, un lien se dessine naturellement entre mes projets. Lors de ma résidence à Chaumont, j’ai collaboré avec des auteurs contemporains. En candidatant à la Villa, je voulais travailler sur un document plus ancien. Quand je suis tombée sur ce texte antique, je venais de terminer les Lunes. Lors de ma candidature, j’ai donc aussi proposé au jury de transformer ce projet d’exposition en livre pour enfants. Le défilement des pages restera en lien avec le cycle lunaire et l’offset permettra un rapport plus exclusif aux couleurs. J’ai trouvé un éditeur, on attend juste des financements.

Comment s’est passé l’oral de sélection ?

C’était assez impressionnant, il y avait beaucoup de monde : les membres du jury, des gens de la Villa et d’autres qui venaient fureter. Certains discutaient dans un coin, d’autres attendaient le passage d’un candidat particulier. J’étais assez déstabilisée. Je m’entendais parler… c’est horrible, cette sensation ! Et puis, contrairement aux artistes, les designers ne peuvent pas faire d’accrochage. J’avais apporté plein de bouquins, mes affiches s’enroulaient, tout s’emmêlait. Je pensais que mon entretien ne s’était pas très bien passé... mais finalement !

Au fond, le projet présenté n’est pas si déterminant. Ils ont évidemment dû l’apprécier mais je crois qu’ils estiment davantage le parcours général du candidat. Dans le jury, il y avait quelqu’un du Ministère qui soutient le graphisme. Le fait qu’un graphiste prenne la place qui est souvent réservée au designer d’objet a dû jouer. Des choses qui ne sont pas liées au projet nous échappent forcément.

Quelles furent vos premières impressions, une fois à la Villa ?

Tout est nouveau. On met un certain temps à s’adapter. On arrive parmi vingt autres pensionnaires, certains viennent avec toute leur famille. Au final, on est plus de cinquante ! Et puis, il y a tous les moments « Villa-Villa », très traditionnels : les dîners chez le directeur par exemple. C’est assez peu habituel pour nous, les graphistes.

Mais le lieu reste plutôt confortable, non ?

Oui, c’est pratique et confortable. On est à la campagne en plein centre-ville, dans un quartier historique assez chic. Les logements sont très disparates mais en gros, il y a deux parties : « Neuilly » et « Sarcelles » ! C’est un peu snob comme appellations... « Neuilly », c’est la partie historique avec des jardins et des appartements très beaux – mais pas très chaleureux à mon sens. « Sarcelles », c’est l’autre côté du bois – le bosco. Certains pavillons datent des années 1950.

C’est là que j’ai habité pendant un an,
c’était très agréable.


Concrètement, met-on à votre disposition des ateliers ?

Des ateliers de taille importante, comme celui d’Ingres, sont d’emblée attribués aux artistes peintres, photographes et architectes. Mais, quand on est designer, c’est plus compliqué. Nous ne sommes pas considérés comme des plasticiens. Pendant les six premiers mois, j’ai donc eu une sorte de bureau, un petit atelier dans lequel je ne pouvais même pas dérouler une affiche ! Ensuite, j’ai repris un atelier-logement, un endroit très beau avec une immense verrière, un espace incroyable !
Là, j’ai vraiment pu travailler.

Quel genre de matériel aviez-vous sur place ? Pouviez-vous imprimer ?

Non, ce n’est pas du tout une résidence de production mais plutôt une résidence de recherche. Nous n’avons pas de compte à rendre. On est davantage dans une logique de retrait et de réflexion. Bien sûr, des régisseurs sont là pour nous aider, mais il n’y a pas du tout de dispositif pour imprimer ni de budget prévu à cet effet. En tant que pensionnaire, nous recevons une bourse d’environ 3 300 euros. Tout ce que j’ai réalisé, je l’ai financé moi-même, je me suis arrangée avec des imprimeurs avec qui j’ai l’habitude de travailler.

Vous n’avez pas de compte à rendre, mais est-ce que des moments de restitution sont tout de même prévus ?

Oui, pendant l’année, en juin puis en octobre, deux expositions sont organisées. Ce cycle est appelé le « Théâtre des expositions ». Nous ne sommes pas obligés d’y participer. Pour ma part, j’en ai profité pour produire des performances et des installations en lien avec mon projet éditorial sur le cosmos mais plus ancrées dans l’espace.

Avez-vous travaillé avec d’autres pensionnaires ?

La première exposition a eu lieu en juin. Nous étions arrivés mi-avril et nous n’avions pas encore eu le temps de vraiment tous nous rencontrer. Finalement les collaborations avec les autres pensionnaires se mettent en place aujourd’hui, maintenant que la résidence est terminée.

Pour cette exposition, j’avais décidé de faire un lancement de mon projet, une sorte d’inauguration avec lancer de confetti, intitulée Galaxy Print ! Je m’étais déjà intéressée à l’histoire des confetti, qui ont été inventés en Italie. Au départ, c’étaient des petits morceaux de plâtre. Plus tard, en France, ils sont devenus des objets de papier. À certains moments de l’histoire, ils ont même été interdits. Je trouvais l’image des confetti assez amusante : d’une part, ils faisaient écho au plaisir que j’avais d’être à Rome, d’autre part, ils venaient perturber ce lieu d’histoire assez coincé !

J’ai donc conçu de gros confetti, avec des planètes imprimées au recto et de l’encre argentée au verso. Avec le designer et scénographe Olivier Vadrot, autre pensionnaire de la Villa, nous avons conçu un dispositif avec des ballons de plus d’un mètre de diamètre remplis de confetti, installés dans le Jardin des Vestiges. J’avais aussi invité un musicien, Andrew Sharpley. Son morceau, composé à partir de sons d’imprimerie de machines offset, n’avait rien à voir avec celui des compositeurs pensionnaires à la Villa, plus proches de la musique contemporaine pratiquée à l’IRCAM.

Au fur et à mesure du concert d’Andrew, Olivier, caché dans un bosquet, tirait à la carabine sur les ballons accrochés aux colonnes du jardin.

Les confetti volaient, les gens les ramassaient. C’était un moment assez magique. Cet objet imprimé était vite sali. Ce processus démystifiait en quelque sorte l’idée d’édition.

Qu’avez-vous proposé pour le second Théâtre des expositions ?

Cosmica Sidera, un projet réalisé avec le peintre Emmanuel Van der Meulen. C’est un pensionnaire avec qui j’ai beaucoup échangé pendant mon séjour. Nous avons élaboré ce projet à deux sans pour autant travailler à quatre mains. L’installation était une sorte de balade, en hommage à Galilée qui a découvert les quatre lunes de Jupiter à la Villa.

De mon côté, j’ai sérigraphié à l’encre phosphorescente le relief de ces satellites sur des grands panneaux. Des mélanges de produits réalisés pendant la révélation des écrans de sérigraphie provoquent des coulures et des effets assez bizarres qui amènent un second niveau de lecture. L’aspect lunaire dialogue avec l’aspect matériel de l’image, avec sa chimie.

Cette installation avait lieu dans une loggia à l’extérieur de la Villa Les panneaux étaient nimbés de lumière et rétroéclairés. Les pigments se chargeaient de lumière avant d’être plongés dans le noir total. En écho, Emmanuel van der Meulen exposait ses peintures dans des niches, avec ce même système de rétroéclairage.


Quels autres projets avez-vous développés, indépendamment de ces expositions ?

Pour le projet Cosmorama, j’ai imprimé, sur des feuilles de papier très fin, utilisé généralement pour les notices de médicaments, des images cosmiques : des petits ronds en défonce dans des aplats de couleur. Les feuilles superposées sur une table lumineuse créent des paysages célestes aléatoires.

Avant de partir à Rome, j’ai rencontré un écrivain de fiction interactive, connu sous le pseudonyme de FibreTigre. Les « livres dont vous êtes le héros » ont un statut particulier. Ce sont à la fois des objets de jeu et d’exploration du récit. Je lui ai demandé de m’en écrire un sur la thématique des étoiles : Le Chant des oubliés. Souvent, ces ouvrages sont très stéréotypés au niveau de l’illustration, de la typographie et de la mise en page. À la Villa, j’ai réfléchi à d’autres codes, d’autres manières de mettre en forme ces récits.

J’ai également réalisé un journal, le Journal Décollo, imprimé en rotatives à partir de dessins de fusées qui peuvent se recomposer comme des cadavres exquis : l’ordre des pages étant interchangeable et les points de connexion toujours au même endroit, de multiples combinaisons sont possibles. J’avais envie de faire un objet qui soit à la fois attractif, à destination des enfants, et abstrait, énigmatique. Je m’étais déjà servie du support journal pour réaliser un document d’information à propos des pensionnaires.

Le graphiste pensionnaire à la Villa Médicis serait donc parfois instrumentalisé au profit de la communication institutionnelle…

Oui, pendant mon séjour, j’ai souvent fait ma graphiste de service ! C’était amusant. À la Villa, ils travaillent avec leur graphiste. Mais, pour les communications liées à notre promotion, nos journaux, nos expositions, j’ai souvent proposé mes services. Cela permet de mieux faire comprendre ce qu’est le graphisme : une pratique de recherche associée à une pratique professionnelle inscrite dans des logiques de communication.

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POUR ALLER PLUS LOIN :

Le site de Fanette Mellier

Spaceland : une exposition de Fanette Mellier & Emmanuel Van der Meulen
chez Fotokino du 7 au 29 décembre 2013.

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Notre interview de Richard Niessen

texte : creative commons - images : © Fanette Mellier

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