Vers un collège collégial ?
Aubervilliers, 2017

Écrit par Margaux Vigne, illustré par Formes Vives.

Longtemps l’école n’était pas un lieu mais une pratique. Comment agir et apprendre en collectif ? Strabic a rencontré le Collectif pour un collège coopératif et polytechnique à Aubervilliers, composé de professionnels de l’Éducation nationale (enseignants, CPE, documentalistes…) et d’universitaires travaillant en Seine-Saint-Denis ou à Paris.

Portant depuis 4 ans un projet pédagogique pour le sixième collège d’Aubervilliers, ils ont créé une association, l’A2CPA. La pédagogie alternative qu’ils défendent est basée sur trois principes : un fonctionnement coopératif, un enseignement polytechnique et une gestion collective. Ces trois principes se matérialisent dans l’organisation humaine mais aussi dans une réflexion autour de la mise en œuvre spatiale, pour un projet qui se négocie en permanence avec l’institution.

Un collège plus collégial ?

Au départ de l’aventure de l’A2CPA, il y a des enseignants qui aimeraient « remplir autrement leurs missions »… Que signifie autrement ici ? La réflexion du groupe s’inspire des diverses pensées de la pédagogie alternative, d’expérimentations historiques mais aussi personnelles, que chacun des membres mène depuis longtemps déjà dans son établissement actuel (classes sans notes, conseils d’élèves, projets transversaux…).

Résumons donc en quelques points les trois principes fondateurs. Un fonctionnement coopératif implique le partage des prises de décisions entre professeurs, élèves, personnels de l’établissement et parents d’élèves. L’idée est que chaque entité d’échelle différente (la classe / la maison / le collège) fasse l’objet d’une gouvernance collégiale tournante, via un conseil propre imaginé comme un lieu de discussion et de mise en débat.

À cela s’ajoute la volonté d’une gestion collective de la vie quotidienne comme des conflits, travaillant la place de l’individu dans le groupe dans une dynamique de responsabilisation, de participation, d’implication et d’émancipation. Même le rôle « éducatif » doit être assumé par tous puisque chacun dispose d’un savoir à partager. Varier les configurations collectives et temporelles permet d’offrir une multiplicité de cadres et c’est par une forme de « permanence » qu’est recherchée une meilleure continuité de la disponibilité des adultes comme des espaces.

Il s’agit de faire de l’école, de la classe – et je vais penser à la formation, aux groupes de formation, aux quartiers, à la vie de quartier, à la vie urbaine – de faire de ces groupes – “informellement sériés”, pour reprendre Sartre, “sérialisés” dirait-on aujourd’hui – il s’agit d’en faire des micro-collectifs, des groupes-sujets, pour reprendre Guattari, d’y faire passer de la transversalité. [1]

L’enseignement polytechnique a quant à lui pour but de lier l’intellectuel et le manuel de manière interdisciplinaire, mais se différencie de la formation technique ou professionnelle précocement spécialisée. Il ne s’agit pas seulement de restaurer l’importance du travail manuel à l’école, mais plus largement de relier concret et abstrait, manipuler pour mieux comprendre et « polir nos concepts [2] » ! Une approche plus globale de la connaissance doit permettre le décloisonnement des disciplines et la déhiérarchisation des savoirs. Les professeurs imaginent ainsi aborder la géométrie en faisant de la menuiserie, la chimie en cuisinant, la biologie en jardinant.

L’espace scolaire encore à imaginer

La proposition spatiale est de créer au sein de l’établissement des communautés scolaires à taille humaine (environ 200 élèves), appelées maisons, au fonctionnement autonome. Ce dispositif fait office d’échelle intermédiaire entre le collège (600 élèves) et la classe (24 élèves maximum puisqu’il s’agit d’une ZEP [3]), et permet ainsi de répartir sur ces trois niveaux les principes d’organisation. La diversité d’usages que sous-entend un enseignement polytechnique nécessite en effet une diversité d’espaces, de mobiliers, d’outils, d’aménagements, et ceci, encore une fois à plusieurs échelles. Le projet propose la hiérarchie suivante : des équipements spécifiques au niveau du collège (mécanique, vélo, menuiserie, robotique, laboratoire photo, bibliothèque et équipements sportifs, amphithéâtre, cantine), des espaces de vie et des ateliers dans chaque maison (cour de récréation, jardin, cuisine, atelier de bricolage), et enfin des mobiliers et équipements permettant l’enseignement polytechnique dans chaque classe (point d’eau, informatique, boîte à outils). Ce dernier aspect, la nécessaire modularité des espaces et du mobilier, est un point important : grands sont les besoins de modularité quantitative (nombre d’élèves accueillis) et qualitative (nature des usages et des activités), renforcés par la polytechnie qui implique de pouvoir mélanger savoirs et expérimentations concrètes.

« L’architecture étant (par essence ?) plutôt non fluide, il s’agit seulement de déterminer les points où les possibilités de variation et d’évolution seront impérativement prévues, dans quel champ et dans quel sens. De même que la classe-atelier s’oppose à la classe-temple, l’école-village s’opposera à l’école-caserne. [4] »

Un collège pour tous

Désireux d’inscrire le collège dans la ville [5], les professeurs imaginent établir des partenariats locaux, dans une démarche de co-conception et co-animation des projets pédagogiques avec les associations, les institutions, les entreprises et les parents. Concrètement, l’idée serait d’avoir une galerie ouverte sur la rue pour présenter au public les travaux des élèves, ainsi que des espaces d’ateliers partagés avec des associations et accessibles au public.

Chaque point peut impliquer une mise en œuvre spatiale spécifique. Il s’agit de penser la pédagogie comme une architecture et l’architecture comme une pédagogie.

Ici aussi, ces réflexions s’inscrivent dans une histoire des expérimentations architecturales liées aux pédagogies alternatives, des années 1960 à nos jours.

Le collectif avait initié des réflexions au sujet du projet architectural, notamment en discussion avec des architectes comme Julien Beller, cofondateur du collectif Exyzt. Les membres du collectif ont proposé une liste de 10 « préconisations architecturales ». Cependant, en attente d’un accord officiel de l’Éducation nationale, le conseil général, responsable de la construction des collèges, a lancé début 2014 la procédure normale de consultation auprès de quatre équipes d’architectes. Le collectif veut en effet que le projet soit intégré à l’Éducation nationale : sa spécificité est d’avoir saisi l’occasion de la réalisation d’un sixième collège à Aubervilliers.

La volonté des membres du collectif est donc que leur établissement, différent, nouveau, soit un collège de secteur.

Ce qui signifie que les élèves sont recrutés dans le quartier, selon le principe de la carte scolaire, et non pas selon la volonté ou les moyens des parents. Là réside tout l’intérêt et toute la difficulté du projet, qui s’oblige ainsi à composer avec les règles de l’Éducation nationale ; deux des points les plus sensibles étant par exemple la question du recrutement du personnel et celle de la direction de l’établissement que le collectif voudrait collégiale et tournante.

Aujourd’hui, plusieurs pistes sont en discussion sur ce sujet avec les institutions concernées : membres de l’équipe détachés comme chefs ou faisant fonction, nomination d’un chef en accord avec le projet avec un fonctionnement collégial… Ces liens avec les institutions, sans constituer des garanties, permettent au projet d’avancer. La situation est donc partiellement débloquée et durant l’été 2014, le collectif a pu avoir des échanges avec les architectes retenus. Concernant le projet architectural, le soutien de l’institution arrive cependant un peu trop tard : les préconisations n’interviendront qu’à la marge sur l’organisation intérieure sans toucher à l’aspect extérieur.

« Toutefois, les architectes ont été à l’écoute et ont fait des propositions à la suite de nos remarques. Entre autres, les “maisons” ont trouvé une forme de réalisation concrète en s’organisant verticalement autour des trois escaliers, avec une répartition équilibrée des salles banales, numériques, des salles de sciences et des plateaux technologiques entre les trois maisons. De même, il est prévu trois bureaux de CPE et trois foyers élèves. Une réflexion sur la division des salles en plus petits espaces pour les temps de tutorat est en cours. Pour l’aspect polytechnique, jusqu’où sera suivie notre demande qu’il y ait un maximum de salles équipées de points d’eau ? Différents espaces verts en pleine terre pourraient nous permettre de mettre en place des jardins pédagogiques. Un atelier de réparation de vélo avec un parc des vélos propre au collège est aussi à l’ordre du jour. Une parcelle en prolongement du pôle “collège ouvert” pourrait permettre ultérieurement la construction d’ateliers – mais avec quel budget ? Quant à l’Éducation nationale, nous avons maintenant des interlocuteurs à la direction des services départementaux qui nous ont proposé quatre réunions sur des thèmes précis à travailler ensemble : temps scolaire, ressources humaines, relations avec les parents et le territoire, pédagogie polytechnique. [6] »

On voit bien ici que la question des formes et des normes dans le bâtiment est totalement liée à celle de la pédagogie et des manières d’apprendre, de travailler ensemble et de répartir le pouvoir. « L’éducation intégrale » que le collectif désire mettre en pratique est en effet aussi une éducation politique, visant à l’émancipation et la responsabilisation des enfants, à l’expression et la socialisation des individus. L’objectif est de faire des élèves des porteurs de projets et des citoyens autonomes à l’esprit critique. Le site du collectif regorge de textes, de références et d’expériences, qui posent conjointement la question du faire (manuel, pratique, créatif ou productif) et celle du collectif, ainsi que leur traduction spatiale et architecturale.

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Pour aller plus loin, voir le site du collectif ; pour soutenir le projet ou adhérer à l’association c’est ici, contacter l’association ici.

[2Fernand Oury, cité par Jacques Pain.

[3Zone d’Éducation Prioritaire.

[5Le projet étant sur ce point comme sur plusieurs autres dans la ligne des « orientations » énoncées par le conseil général sur les collèges.

[6Séverine Labarre, membre du collectif.

Texte : Creative Commons, images © Formes Vives.

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