Le Cycle du travail
Un regard de Caroline Bach

Propos recueillis par Sophie Suma. Images : © Caroline Bach.

Caroline Bach est photographe et chercheuse. En 2005 elle entreprend un travail photographique sur le monde industriel. En 2008, elle découvre une première fois le site mosellan et fait une première série de photographies. Depuis 2015, elle reviendra à Bataville à deux reprises, pour imaginer une installation in situ de quelques-uns de ses clichés, afin de partager son travail avec les habitants. Rencontre.

Strabic : Quelle est l’origine de ce projet photographique prenant le monde industriel comme objet d’étude ?

Caroline Bach est née en 1968, elle travaille et réside à Nice. Diplômée de l’ENSP d’Arles et titulaire d’un DEA en esthétique et sciences de l’art (Paris I), elle est actuellement en thèse d’histoire de l’art. Son sujet de recherche est intitulé : « Quand l’art contemporain s’intéresse à l’économie : espaces de travail et formes économiques en question ». Dans ce cadre, un article paraîtra dans le prochain numéro de la Nouvelle Revue du Travail (sortie novembre 2016) : « Espace des travail et stratégies photographiques ».
Par ailleurs, depuis plusieurs années, elle poursuit un travail artistique : l’ouvrage Dites-nous comment survivre à notre condition est paru aux éditions LOCO (2015) avec un texte de Dominique Baqué « Témoigner des luttes ouvrières ».

Caroline Bach : En 2005 j’ai entamé un vaste projet intitulé Le Cycle du travail, qui comprend maintenant plusieurs séries. À travers cette étude, j’interroge cette ambivalence qui, sans cesse, est à l’œuvre dans notre monde. Deux grands axes l’organisent : une exploration de la vie industrielle et une interrogation sur l’accueil et le traitement de l’être humain lorsqu’il se retrouve en bordure de son humanité (SDF, personnes atteintes d’Alzheimer, etc.).

Le monde industriel porte parfaitement cette ambivalence. Il représente, d’un côté, les grands combats collectifs, la solidarité, le travail en équipe et une forme de prospérité. Et de l’autre, il porte la souffrance physique, le travail à la chaîne, répétitif et monotone, la fermeture des usines, le chômage et la déségrégation de territoires.

D’une part, donc, j’ai rassemblé des séries comme « Regards sur Souriau. Compositions industrielles. » (2006-2007) où les images, composées à la chambre photographique, montrent de belles machines et des techniciens occupés dans leur poste de travail. D’autre part, j’explore au contraire des territoires marqués par des conflits ou des faillites industrielles (voir notamment la série parue dans Dites-nous comment survivre à notre condition).

L’ancienne menuiserie

Par ailleurs, je mène en parallèle deux projets :

  • Celui sur Bataville (3 séries, 2008, 2015 et 2016 comprenant une courte vidéo), lorsque le site fonctionnait, il représentait un monde paternaliste particulièrement abouti,
  • Celui sur l’usine des Fralib à Géménos (3 séries aussi avec un diaporama pour 2013-2014 et une vidéo retraçant le cheminement d’un sachet de thé dans l’usine et qui a surtout pour fonction de créer un décor sonore).

Ces deux lieux représentent non seulement des histoires industrielles emblématiques, avec des marques connues, mais sont surtout des utopies qui interrogent nos imaginaires.

Aujourd’hui, Géménos se reconvertit en coopérative. Bataville accueille l’Université Foraine et Notre Atelier Commun pour initier une nouvelle façon de réfléchir et de collaborer.

Le bâtiment administratif #4

Quelle est ta position en tant que photographe et chercheuse sur Bataville ?

Je joue moi-même avec la dualité de la photographie, à la fois document – image neutre et informative – et productrice d’un discours subjectif, à travers l’organisation des images en séries et la confrontation des thèmes.

Et je revendique une forme de lenteur, portée par mon idée de la photographie et par l’utilisation d’appareils moyen et grand formats et de films argentiques.

Mes images arrivent toujours dans un second moment, après un premier temps de recherche, de rencontre et de dialogue. J’utilise une chambre photographique, pas d’image instantanée et immédiatement visible : pour Souriau, par exemple, les opérateurs ont dû "poser", devenant des modèles, ce qui donne une tournure légèrement irréelle aux photographies. Enfin, ils ont eu tout le temps de me regarder travailler, moi aussi. Cet échange fait partie du dispositif photographique.

Plus haut, la salle de bal

Ce qui est en jeu à Bataville, comme dans les autres sites que j’ai pu visiter pour ce projet sur Le Cycle du travail, c’est le besoin d’utopie ; rêver à des lieux, des organisations, des territoires qui se renouvellent à partir de modèles collaboratifs.

Ce sont des lieux critiques. D’un point de vue purement photographique, il y a une beauté certaine du site liée à la présence de la nature et de ces briques rouges. Je suis curieuse de voir ce qui va se passer à Bataville. Plusieurs projets semblent en cours, mais n’y a-t-il pas un risque d’éparpillement ? Ne faudrait-il pas plutôt un projet principal qui fédère les autres ? Je me demande si l’imaginaire lié à Bataville n’est pas trop prégnant et s’il peut laisser la place à quelque chose de nouveau. C’est cela que j’essaie de percevoir et de porter dans mes images.

Affiche sur le rond-point

Pour Bataville, tu as réalisé un dispositif d’exposition un peu particulier, tu as choisi de coller à la volée des clichés de la ville dans l’espace public. Pourquoi ce choix ?

Mon installation proposant un parcours dans la cité a été imaginé pour accompagner le moment de restitution de Notre Atelier Commun qui se déroulait dans le bâtiment symbolisant la frontière entre l’ancienne usine et les employés. Je souhaitais diffuser des images fragiles, représentant ce territoire et ce moment de transition qu’il est entrain de vivre ; pour qu’elles soient visibles, aussi, par les habitants et faciles d’accès. Il y a également l’idée de mettre dehors – dans l’espace public – ce qu’il y a dedans, l’intérieur du site industriel. Afin de révéler ces espaces cachés, privés. La première fois que je suis venue faire des photographies à Bataville, en 2008, j’étais restée à l’extérieur et le site m’avait paru mystérieux. Je m’interrogeais sur ce que l’intérieur des bâtiments pourrait révéler. La dualité entre l’extérieur et l’intérieur des édifices m’a poussée à dévoiler publiquement ces zones préservées, discrètes et oubliées. En novembre 2015, j’ai pu circuler dans une partie des bâtiments et étrangement, il est demeuré un reste de mystère, comme si les lieux ne révélaient pas tout, comme s’ils étaient immobilisés dans leur passé. Dans mes images, j’ai essayé de conserver cette dimension de façade, de décor. J’ai été aidée par une faible luminosité qui absorbe un peu ce que l’on voit, conservant encore une dose de mystère.

Et, au milieu... #1

Images : © Caroline Bach.

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